Une belge à NYC : Quand on est loin et que tout va mal 9


Aujourd’hui je commence à travailler à midi alors j’ai décidé de m’accorder une grasse mat’ jusqu’à dix heures. Un sommeil profond et réparateur dont j’avais besoin. Mon mari me réveille et je sens le soleil me caresser la peau. Est-ce synonyme d’une belle journée qui commence ? Il me parle de Bruxelles et de l’aéroport, il me dit que c’est sur le site du NY Times. A moité endormie, je ne comprends pas bien ce qu’il me dit. J’attrape mon téléphone. Il est 8h et j’ai reçu 9 textos, c’est plutôt inhabituel.

On m’envoie des liens d’articles où j’aperçois les mots “Bruxelles” et “terroristes”. On me demande si ma famille va bien. On me dit qu’on pense à moi. Ca ne laisse rien présager de bon.

Vite les news. Qui, quand, quoi, comment, dites-moi. Je fonce sur le premier site d’info belge qui me vient en tête. Attentat, terreur, aéroport, métro. Merde il faut que j’appelle ma mère. Ouf de soulagement quand le mot “connecting” s’affiche sur mon écran FaceTime. Mais pas le temps de discuter maintenant que je suis rassurée.

Après deux minutes, je raccroche pour retourner aux news. Je fonce sur Facebook. Mais il est où le putain de safety check comme ils ont fait pour Paris ? Je descend mon fil d’info nerveusement , je ne sais même pas ce que je cherche. Je clique “refresh” toutes les 30 secondes et regarde le nombre croissant de proches en sécurité. Mais beaucoup manquent encore à l’appel. Merde les gars, même si vous n’allez pas souvent sur les réseaux sociaux, c’est peut-être le moment ou jamais. WhatsApp, Skype, Twitter et même Instagram…tous les moyens sont bons pour avoir des nouvelles et chaque signe de vie est une victoire.

Je regarde l’éditon spéciale en continu. Les mêmes informations à répétition, sur fond de point d’interrogation géant. Le premier ministre, l’expert en terrorisme, l’ancien chef de la sécurité intérieure. “On ne pensait pas que cela allait arriver si rapidement”. “On aurait du passer le niveau d’alerte de 3 à 4 après l’arrestation de Salah vendredi”. What ??? Nan mais vous êtes sérieux, les gars ? Pas la peine d’en rajouter, les gens sont assez paniqués et n’ont pas besoin d’entendre ce genre de propos venant des autorités. Le bilan s’alourdit petit à petit, ce n’est que le début et le mauvais rêve continue.

Je pense à mes trois ans de travail au club med et toutes ces belles aventures qui ont commencé dans le hall des départs de Zaventem. Mon premier voyage vers Big Apple et mes nombreux New York-Bruxelles depuis 2011 quand j’ai posé mes valises de l’autre côté de l’Atlantique. Ce hall, synonyme d’excitation avant des vacances entre copains, de larmes quand nos amis s’en vont et de joie quand ils rentrent au pays. Ce hall qui m’avait donné tant de frissons dans le passé me donne maintenant la chair de poule. J’ai peur mais je suis triste surtout. Je fais les cents pas nerveusement dans mon appartement et les larmes coulent sur mon visage. Je me sens un peu bête de pleurer mais j’en ai besoin pour apaiser ma colère et mon désarroi.

Les images terrifiantes de Paris me reviennent en tête. Comme tout le monde, j’ai été très choquée et peinée par ces événements. Mais il n’y a rien à faire : quand on s’attaque à ta ville, celle qui t’a vu grandir et que tu as appelé maison pendant vingt-sept ans, ça te prend aux tripes d’une façon bien différente. J’ai la nausée. Ca y est, c’est notre tour, on savait bien que ça arriverait tôt ou tard.

J’ai mal au cœur en pensant à ces gens apeurés sur le quai de la gare, qui essaient en vain de rentrer chez eux. Il est difficile d’imaginer la peur de ceux qui n’arrivent pas à joindre leur mari, leur soeur, leur mère ou leur meilleur ami. Je ne peux pas me mettre à la place de ceux qui ont été séparés lors des explosions à l’aéroport. Courir pour sa vie ou courir à la recherche de ses proches ? Que fait-on sous le coup de la terreur ? Comment réagit-on quand on a la peur au ventre ?

Je pense aussi à mes amis belges du bout du monde qui sont dans la même situation que moi, le coeur arraché de ne pas être auprès des leurs mais aussi la “chance” de ne pas se trouver au beau milieu de cette horreur sans nom.

Puis je pense à demain, avec son lot de tristesse et d’âneries à n’en plus finir. Donald Trump s’en frottait déjà les mains à la première heure ce matin. Quand je pense qu’il est monté de 7% dans les sondages après les attentats de Paris. Je n’ose pas imaginer la suite. Je pense à mes amis musulmans qui se feront encore plus regarder de travers quand ils monteront dans le bus ou feront leur courses. La montée du racisme, les incitations à la haine, la discrimination raciale, l’islamophobie. Ceux qui en profiteront pour dire haut et fort qu’ils s’en fichent comme de l’an quarante de ce qui se passe en Syrie ou en Palestine, alors qu’ils n’en avaient rien à faire auparavant. Ceux qui auront moins peur d’afficher leur racisme dégoûtant sur la place publique. Ceux qui utiliseront leur ignorance pour nourrir leurs déferlements de haine. Merde, elles sont quand encore les prochaines élections ?

Un sentiment de déjà vu et une profonde tristesse. Que se passera-t-il demain ? Et le mois prochain ? Une envie énorme de serrer ma famille dans mes bras et de leur dire que je suis là. Quand on est expat, ce n’est pas toujours facile de manquer les moments importants de la vie de nos proches, qu’il s’agisse d’un anniversaire, une naissance, un mariage ou un événement tragique comme celui d’aujourd’hui.

Je n’arrête pas de penser à toi, ma belle Bruxelles. Rétablis-toi bien.

Cet article a également été publié par le Huffington Post.


About The Lazy Frenchie

Journaliste et blogueuse, Aurélie vit à New York depuis 2011. Elle a travaillé pendant de nombreuses années dans l’événementiel et plus spécifiquement pour les industries de la mode et du luxe. Quelques fashion weeks plus tard, elle partage aujourd’hui son emploi du temps entre une école de langues à Tribeca, où elle enseigne le français, et l’écriture d’articles pour divers sites et blogs féminins. Ses sujets de prédilection sont New York, les voyages, la mode, la déco, le bien-être et tout ce qui touche de près ou de loin à la cuisine. Suivez-la en image : @the_lazy_frenchie. Pour plus d’informations, contactez-la à l’adresse suivante: aurelie@thelazyfrenchie.com

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